top of page

Réflexions diverses 2016

Enfin, la rentrée culturelle !

     De  retour  dans  Grenoble  chauffée  à  blanc,  j’ai  retrouvé,  avec  un  plaisir  tout  relatif,  la  lecture
(dominicale et  déprimante)  du quotidien régional,  les  commentaires sur  les  maladresses  supposées
(à tort ou à raison)  de l’équipe municipale, l’inanité  consternante des bouffées  revanchardes  de son
opposition,  le  cortège  sans  fin  des  jugements  définitifs  forgés  à  la  lumière  de  rien  et  les
débordements verbaux, parfois verbeux, de grenoblois (ou non) qui se disent en colère.

     Parmi eux,  et dans la foulée d’un Joël Pommerat furioso (1),  des  représentants  ou commentateurs
du monde du spectacle vivant se distinguent nettement par leurs petits travers :
        > mauvaise éducation (stigmatisation  fétide  de  l’adjointe  « aux  cultures »  qui avoue ne pas
           connaître Pina Bausch (2).
        > excommunications  sans  appel  prononcées  un  peu  trop  facilement  (édiles  accusés  de
           populisme, d’idéologie ou de libéralisme et traités de Ponce Pilate politiques),
        > logique  discutable (certes,  il y a des difficultés financières, mais on ne saurait soumettre
           la culture à de vulgaires contraintes économiques),
        > et  enfin,  prétention  qu’on  peut  qualifier  d’outrancière  (se  penser  bruyamment  en
           résistants,  détenteurs  et  dispensateurs  sourcilleux  d’une  culture  en  danger,  mais  en
           capacité  de sauver notre démocratie  fragilisée, pour autant qu’elle reste dans leurs mains
           expertes).

     Comme  ces  reproches  risquent  fort  d’être  assimilés  à  des  affirmations  gratuites,  je  vais  donc
vous  livrer  illico  un  petit  exemple  de  ce  que  j’appelle  « prétention  outrancière »,  pris  dans  mes
souvenirs  grenoblo-grenoblois :  lors  de  la  réouverture  de  la  MC2  en  2004,  son  directeur,  Michel
Orier,  rendait hommage à tous « ces artistes  en charge de nos imaginaires ». Diable,  quel fardeau !
Par pure charité, je déchargeai prestement ces gens de la tâche de s’occuper du mien et boudai notre
scène nationale, pourtant rajeunie de belle façon ; mon imaginaire n’est assurément pas un domaine
pour  lequel  il  me  viendrait  à  l’idée  de  recourir  à  la  sous-traitance  ou  au  coaching,  même  si  ces
services étaient assurés par des artistes des plus renommés.

     Beau joueur, je  suis pourtant retourné à la MC2  (et j’y ai même vu de bons spectacles de  Joël
Pommerat).  Toutefois,  à  quoi  ressemble  donc,  concrètement,  cette  culture  qui  fait  tant  courir,
discourir et parfois, tant dépenser d’argent ?
     À un vaste fourre-tout englobant à la fois des réalités totalement hétérogènes, des phénomènes de
mode,  donc  de  désaffection  soudaine,  des  actions  de  marketing  forcenées,  une  offre  (largement
fournie  dans  le  bassin  grenoblois)  touchant  principalement  des  citadins  plutôt  aisés,  un
conformisme béat n’épargnant ni le public,  ni la critique, ni les patrons de théâtres (« Allo Jeannot,
dis voir, tu as pris le spectacle de Machin ? Oui ? Bon, alors je le prends aussi 
»), une ou deux
découvertes  passionnantes  par  an,  une  cuillère  à  soupe  de  snobisme,  deux  de  philistinisme,  une
pincée de parisianisme, un soupçon de dandysme, des spectacles interminables dont un tiers de la
longueur,  au  moins,  pouvait  être  supprimé,  une  dame  de  grande  taille,  au  port  altier,  qui,  devant
vous,  cache  malencontreusement  le  chef  d’orchestre,  des  jalousies  tenaces  souvent  teintées
d’amertume (mal endémique qui affecte toutes les professions de l’art, vivant ou mort), des gens qui
se  bousculent  pour  prendre  leur  nouvel  abonnement  de  spectacles,  avant  leurs  grosses  vacances
(alors qu’ils ont déjà oublié les trois-quarts de ce qu’ils ont vu ou entendu lors de la saison qui vient
de se terminer), des grands bonheurs, de sérieuses déconvenues, de la médiation, omniprésente dans
certains secteurs, mais tristement consensuelle, des comédiens qui s’agitent sur scène alors qu’on
n’entend  pratiquement  rien  de  ce  qu’ils  disent,  des  œuvres  qui  laissent  indifférent,  ou  déçoivent,
alors qu’elles émanent d’artistes qu’on nous dit très grands, des plasticiens qui assument seuls, et
sans aide aucune, les caprices des rentrées d’argent, des intermittents hautement flexibles de façon à
satisfaire  les  exigences  d’un  économisme  impitoyable,  j’en  passe,  et  des  meilleures,  dont  les
attitudes hautaines et dédaigneuses des coteries d’initiés.

     Les  dérapages  des  artistes appartenant à  ces confréries  tellement contentes d’elles-mêmes,  sont
contreproductifs  pour  la  culture  qu’ils  disent  défendre.  S’ils  croient  déceler  chez  certains  une
propension,  insupportable  à  leurs  yeux,  à  juger  élitiste  le  monde  de  la  culture,  il  ne  leur  vient
manifestement pas à l’idée que  leurs  allégations prétentieuses  favorisent  ce type de perception et
ressemblent à  s’y méprendre aux  agissements de ces politiques,  de tous bords,  dont l’arrogance a
pour effet de vider les isoloirs. Certes, on peut penser que la culture devrait être au cœur de  tous les
projets  politiques  et  que  l’économie  n’a  pas  à  leur  dicter  sa  loi,  pourquoi  pas,  mais  la  culture
gagnerait beaucoup si certains artistes faisaient preuve de plus de mesure.

     Quand les caisses seront renflouées (?), les éternelles et interminables chicanes sur la culture et
l’art pourront reprendre avec la même passion,  autour des mêmes questions  convenues, voire  dans
la même  indifférence. Dans l’immédiat, une réserve digne et une parole circonspecte me semblent
de  mise  en  cette  rentrée  de  vaches  maigres,  qu’on  imagine  facilement  inconfortable  pour  nos
édiles ; ce souhait ne saurait, en aucun cas, me faire passer pour l’un de leurs sectateurs.

14-09-2016
 
_______________________________________
 
1 - Dans le quotidien Libération, début juin, l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat attaque violemment la politiqueculturelle
de Grenoble et suscite de nombreux commentaires passionnés. Son texte est encore consultable sur :
/http://www.liberation.fr/debats/2016/06/02/grenoble-la-deception-de-l-ecologie-culturelle.
Joël Pommerat avait reçu, quelques temps avant la parution de son brûlot, plusieurs « molières » confirmant son statutd’artiste
très en vue.
2 - Pina Bausch, 1940-2009, danseuse et chorégraphe allemande, figure importante de la danse contemporaine.  
 
bottom of page