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Poèmes (échantillons) 

 

Tous textes protégés

 

 

 

 

 

Arbustes

Si vous saviez combien l’arbustif
peut se montrer rébarbatif !
Ce sont les petits arbustes
qui toujours me tarabustent.
Il ya tous ceux qui bourgeonnent,
les excentriques qui drageonnent,
ceux que le moindre manque d’eau
transforme trop vite en fardeau ;
d’autres chez qui les excès d’eau
les font aller diminuendo,
ceux qu’il faut sans arrêt traiter
ou vous les verrez végéter ;
d’autres qui sont durs de la greffe,
dont on ne tire aucun bénéf,
ceux que tendrement on marcotte
et dont la santé asticote,
ceux qu’on voit partir en godaille
après une amoureuse taille ;
d’autres qu’on doit un peut forcer
pour qu’ils renoncent à divorcer,
ceux à qui on a tout donné
et qui vous font des pieds de nez,
ceux pour qui on s’est dépassé
et qui viennent, en plus, finasser,
d’autres qu’on paille pour l’hiver

sans se préserver d’un revers :
il y a le gel imprévu,
celui qui prend au dépourvu,
le temps de l’incertitude
et celui de l’hébétude ;
il y a le coup de chaleur
et l’on sent monter la fureur.
C’est alors qu’on se décide
pour le pire arbusticide.
Adieu bruyères et ficus,
m’en viens vous raccourcir, rasibus !

 

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Cruelle déroute
Lentement, colère et exaspération difficilement contenues.

Ecoutez-moi bien, sans faire d’histoire,
et comprenez enfin serait folinsensé croire
que notre cher pays, villes, vals et monts,
n’était aux poignes ennemies maints démons ;
que n’étions tous animés, farouche idolâtrie,
ardent amour pour notre mère patrie ;
qu’aucun cri guerrier ne retentissait, frénétique,
sur nos fières unanimes places publiques,
depuis bourgs où se croisent riches et gagne-petit,
jusqu’au moindre hamelet, boueux et empuanti ;
et qu’hommes déjà très avancés vieil en âge
refusaient tire fendre combattre avec rage.
Serait folinsensé croire
que nos coeurs ne brulaient furieux désir vengeance,
que ne gardions secret espoir la délivrance,
mais que ne nous attendions à un massacre,
et à consentir les sacrifices les plus âcres ;
que n’évoquions non plus, funestécorchoir,
êtres chers par leur nom, convaincus ne plus revoir ;
que n’étions en comble déplorable état,
prêts à disparaitre, anonymes intestats,
déchirés par troubles dissensions intestines,
affaiblis par lâchetés et trahisons clandestines ;
et que ne chantions vieilles complaintes notre pays,
avant que ne gagne un inquiet silence recueilli.
Serait folinsensé croire
que nos corps n’étaient couverts béants blessures,
telle notre âme, lourdaccablée meurtrissures ;
que nos montures n’étaient usées, fatigues et faim,
lassées de ne jamais trouver la neige les confins ;
qu’étions insensibles au morne sifflement vent,
alors qu’on allait toujours résolus plus avant ;
que nos épais caftans par le gel durs comme pierre
suffisaient à protéger morsure bise sous les éclairs ;
que n’étions par aiguilles grésil crible tempête aveuglés
alors que sourde appréhension s’obstinait étranglée ;
et que n’étions contraints les plus faibles laisser en route,
horrible abandon pires instants cruelle déroute.
Serait folinsensé croire
que n’étions accablés sidérante horreur,
abandonnés par dieux injustes dans l’erreur,
jusqu’aux aïeules Proxumes et sous capuche Télesphore
qui refusaient protéger les nôtres ingratitude mauvais sort.
Serait folinsensé croire, car pourriez le regretter,
aussi vrai que sommes, l’un majeur altaman de cité,
l’autre, long capitaine charroi d’échafaud,
et que nous ne comptons pas, vrai, loin s’en faut,
dans nos doux villages en bois combles et liesses,
parmi les derniers détenteurs ultime hardiesse.

 

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Ecole communale

J’ai maculé le turc du cabinet derrière une porte bruyante sans crochet.
Il n’y avait plus de papier.
La chasse d’eau s’est largement épanchée, détrempant bretelles et souliers…
« Alors mon chéri, dis-moi, tu te plais à ton école ? »


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Ecrits nocturnes

Un fol aveu s’ourle et fane
les lueurs que la phrase glane :
en l’étrange peine qui fredonne
voici que la page s’abandonne.
Des mots de fouine, l’un après l’autre,
entament la chair morte des grandes oraisons ;
et j’en dis autant,
sur mon p’tit banc,
du souffle de lune,
de qui se promène nu sur la dune,
de l’étoffe moite des nuits,
de qui se noie dans le puits,
des sudations cambrées,
de qui se met les doigts dans le pré,
des caresses d’oiseau,
de qui touche l’épure des simples,
du sommeil qui vient,
de qui s’envole,
sourdement étreint.


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Etranglés


Des illusions se donnent encor à entendre
alors qu’avance, triomphante, minutes procession ;
prélèvent sans ménagement, ni projet de rendre,
érodent jeunesse, piègent toutes significations.
Mais obstination veut ignorer ce temps compté,
élaborer, long et lent, profuses sommes,
s’approprier ce même semblait hors de portée,
composer improvis avec substance dichotome.
Itinéraire pour histoire entre joies et turbulences,
être donne sens au temps en désordre total
où contrainte croire, taire, espérer en silence,
ne saurait contrarier opiniâtre élan vital.
Hommes festoient frénétiques, sans relâche,
autour tabernacle la vie mystère enclos
pour sacrifier aux dieux s’y cachent
et complotent à huis clos.
Leur reste toujours espoir
atteindre salut,
or, voile noir
r é s o l u
enfle
leur
mis
R.


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Hypothétique rebondissement

Attente vaine d’une éclaircie, d’une amélioration,
pour reprendre le fil et recommencer.
Il faut se tenir à l’écart du monde ou se retirer,
telle est la figure première de la refondation.
Mais on repousse cette retraite, on diffère
prétextant une nécessaire incubation,
une obligatoire mise en condition,
et une longue expérience, à laquelle on se réfère.
Puis on finit par se lancer, enfin, habité par la peur,
car il faut tout reprendre, à chaque fois, depuis le début
et l’on voit grossir rapidement le nombre des rebuts ;
tout ne vient pas toujours à son heure.
Choix dispendieux du rêveur éveillé qui s’abandonne au songe, en laissant les mots,

toujours plus nombreux, sortir de l’arrière-cour où ils étaient remisés,
surgissement d’une invraisemblable cohorte d’énoncés hors d’haleine,

dont la disparate prive de commencement,
flux ininterrompu de couleurs dont le désordre interdit toute perspective d’accomplissement,
pléthore des possibles qui laisse dans le plus total des accablements,
etc. etc.
Et le rappel à l’ordre moqueur qui, sans arrêt, stigmatise l’obstination de cette quête

à la recherche de son propre objet.
Toutes ces incommodités suffiraient à un rejet.
Or, le plus souvent, une soudaine révélation libératrice laisse le champ libre à un nouvel élan.
Reste, cependant, la crainte permanente de ne plus voir revenir ce salutaire rebondissement.


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Insignifiance

Il nous reste, malgré tout, quelques missions imaginaires, de matériaux précieux

en raisons mauvaises, pour nous persuader de l’utilité de nos persistances.
Nous consacrons notre temps à nous expliquer, par le menu, du souvenir de nos talents

comme s’ils recelaient encore quelques espoirs de devenir.
Ce qui nous a fait et ce que nous sommes ne sont plus dans le goût d’aujourd’hui ;

nous voici contraints de façonner la succession des instants

à l’échelle ténue de notre insignifiance.
Mais nous sommes en relégation fructueuse. Nous habitons un pays lumineux

d’où il nous est possible d’approuver sans réserve ce qui est tenu pour impensable,

ou de condamner à loisir tout ce qui emporte la plus inconditionnelle des adhésions.

L’ordre de ce monde ne risque pas d’en être bouleversé : il ne nous entend pas plus

qu’il ne se souvient de notre fragile présence ; peu importe donc notre irrévérence.
Demain, nous partirons sidérés vers une destination intrigante

où ne s’écrira rien d’autre qu’une nouvelle page de l’histoire des Hommes,

oublieuse de ce que nous avons été.


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Les autres


Je vois ces autres, au bord de leurs mots sans éclat.
Ils cherchent vainement de menus plaisirs dans l’ombre qui émerge de leur naissance ;

elle se dresse, telle une stèle hiératique et menaçante, au dessus de leur native impuissance.
Je vois ces autres, le long du chemin, abandonnés à eux-mêmes par leurs propres phrases.
Ils demeurent interdits comme la pierre façonnée d’indicible par son trop lourd héritage.
Je vois ces autres, bougonnant leur vie d’une voix blanche qui remise tout espoir de partance

dans un port définitif, oublieux des vieilles stances.
Je vois ces autres qui adressent leurs monologues à des figurants ébauchés par erreur
dans un monde qui n’est plus le leur.
Je vois ces autres qui tentent d’exister alors qu’ils n’ont pas de mots pour se raconter.
Je vois tous ces autres,
j’en vois tant et tant d’autres.
L’un d’entre eux voulait faire des mots un soleil pour s’arracher à la nuit.
Il me faut, quant à moi, en faire des merveilles pour me persuader que je suis.


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L’haime

Elans d’haime
pour garder bien haut
femme à sourire.
Joli soir d’hamante cajole
prémices bien propres,
puis coule long repos.
Elle, étendue,
simple à croire,
franche à haimer,
dévoile froissements retenus,
interrogent espoir de miels nus
comme l’habille regard désireux.
Toi, l’haimée des lins échappée,
touchent épaule l’augure envolée,
coulent frôlements qu’un rêve attire.
Viens t’en, cueille sens
prunes d’or l’été,
vibrent parfums premiers des corps.
Avec elle, toujours là,
chante l’heur complice minutes surprises,
imagine tourments ravis
jusqu’à mort longue,
bruine mort matée…
Pétrouille de perdre
s’étendre près l’haimée.


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Lucioles

Les arbres mouillés d’ombre badigeonnent
les prés qui de mont en val s’agitent,
mais qu’il est vain d’aller vite
à l’heure où la fleur d’aisselle se donne !
L’herbe et le sainfoin, le son,
n’enchantent plus la tempête du ciel
par le soin, l’application des espoirs rebelles
qui connaissent de tous les feux l’unique chanson :
tressant son collier de grêles profondes,
voici la guirlande incertaine des lucioles
dont nos quatre yeux toujours raffolent.
En ces lieux de danger que ravive l’ombrage,
déjà la nuit chante en son noir chemin
et des blondeurs s’enflamment sous nos mains.


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Mon Oubli
Avec un petit emprunt à Lamartine.


Je tire fermement, par la manche, mon Oubli,
pour en extirper quelques images lumineuses,
une ou deux affaires plus ou moins heureuses,
voire le petit évènement dont on sort affaibli.
Je le secoue comme un prunier
dont on souhaiterait même faire tomber les feuilles
mais, je ne parviens jamais à franchir son seuil,
si bien qu’hors de lui, je reste prisonnier.
Je le retourne alors,
sans ménagement, comme une vieille veste
dont on voudrait tirer de la doublure
la monnaie qui s’y est aventurée
et qui, obstinément, y reste.
Mon pays est petit et tout s’y sait ;
mon Oubli parvient pourtant à garder ses secrets,
tous les souvenirs que de ma mémoire il soustrait.
Au fur et à mesure qu’il les collecte,
une nostalgie toujours plus grande m’affecte.
Il est ma part de nuit.
Je ne le redoute, ni ne le fuit.
Mon espérance, résolue, va pour le visiter
et le faire enfin parler, sans la moindre anxiété.
Bravant les ténèbres, à tâtons, elle progresse
et explore maintenant les murs d’une forteresse.
Elle n’a qu’une plainte intermittente et douce,
selon qu’elle rencontre ou la pierre ou la mousse.
Mais, pour percer le mystère, il n’y a ni porte, ni faille :
mon Oubli campe obstinément derrière ces murailles.

 

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Mystérieuse

Sur le ton de l’enfant lisant mécaniquement un poème d’Albert Samain.

Son essor résolu piège l’essence du temps,
signes et accents en un ordre clair,
façonnage cardinal su depuis longtemps,
pour que s’accomplisse un miracle ordinaire.
Se nourrit en secret de sa propre ferveur,
exige l’engagement des moyens qu’elle convie,
mais nous craignons que son souffle ne meure
avant de forger des tranquillités ravies.
Pour cela, doit garder sa flamme pérenne
et la parole longue, libératrice,
jouer des silences que le hasard égrène,
grâce aux verbes inspirés dont elle est détentrice.
Doit veiller à l’éclat que ses marges transpirent
car lui faut jeunesse, l’âge des contestations,
officier sans cesse pour ne plus bruire
de l’évidence des codes en leur disparition.
Elle convie les sens dans de lointaines contrées
que la fatigue soustrait à notre savoir,
pour ériger en tous lieux l’espoir pénétré
des belles promesses d’un universel y-voir.
Il suffit qu’elle traine, ici ou là, anodine,
que se pressent, fortuits, deux ou trois de ses accents,
pour que s’installe en nous, et qu’elle y jardine
un frêle artisanat qui comble nos penchants.
N’avons alors d’autre choix que se l’attacher
avant même de penser les règles que suppose ;
jaloux du bonheur s’en être entiché,
chérissons l’instant la plus douce des pauses.
Quand notre espoir fait soudain sécession,
la retrouver, légère, sourire sage,
nous donne la foi dont elle fait profession,
en un éclair de son riche apprentissage.
Apollinienne déesse obscurément rêvée,
se grime parfois telle dionysiaque furie,
mais habite les rituels des jours achevés
comme la dimension neuve qui nous sourit.

 

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Nuits écarlates

Des fatigues meurent de soif en pèlerinage
pour sauver la vénération.
Le soleil attise le vagissement des proéminences ;
au plus haut de celles-ci, un volcan bourbeux
vomit par places sur ses vassaux de douleur.
Mais au dessus des têtes, soudain,
un miracle dévoile lentement la récompense :
effet probable du labeur,
l’astre du jour se délite.
L’ombre vient enfin
pour que s’établisse le parfum des tessitures.


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Oaristys

Quant à toi, va, pars et ne reviens !
Tu ôtes rage mal en remanche
où l’ire déjoue tes cembres
de l’oaristys qui te retient.
Mais, quand l’amnée mille-farde,
en ce temps neuf d’ambre,
l’art joyeux te regarde
sans crainte d’amour feint.
Et, bien plus que l’attendre,
tu grandis retenue en doux lien,
bien sereine l’en décembre
puisque neige le contient.
Tout à toi, pour ton voyage m’en viens,
mais tu gardes en ce dimanche
d’une ire floue de cembres,
l’ample oaristys qui te tient.


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Petits dires spontanés sur les mots
Exercice d’écriture d’échauffement spontanée, livrée brute.

Nous restituerons ces mots à la vérité quand on les aura retrouvés, lorsqu’ils surgiront d’un tressaillement de notre abandon / Ils viendront remplacer d’autres mots, ceux dont on ne parle plus guère, mais qui, un temps, nous ont permis d’exister et d’espérer / Ils sont maintenant plongés dans un silence recroquevillé d’où ils ne pensent plus ni l’audace ni la peur / Pas plus qu’ils ne disent la beauté, l’amour et ses ardeurs / Ces mots, aujourd’hui illisibles, disaient pourtant notre crédulité, nos croyances, nos souvenirs et notre arrogance / Nous en faisions des livres dans lesquels des personnages inventés connaissaient des aventures possibles ou impossibles, belles ou laides, grandes ou petites, gaies ou tristes / Ces personnages racontaient le poids de l’ombre, le chant de la nuit, l’envolée des étourneaux, la perte de l’ami, les paysages sous la pluie, les familles écartelées, l’odeur du foin coupé et je ne sais trop quoi z’encore : la différence entre la salsepareille, le père fouettard dans les facétieux, abandonné des Hommes et de leurs illusions, leurs superstitions / Quand les monts font profil bas, les mots s’inscrivent dans le ciel pour raconter la hauteur des collines / Il en est de même pour chacun d’entre nous : levant la tête et le poing au ciel, nous ne décolérons pas d’être interdits de profondeur / Epargner, ménager, renoncer, finalement retrancher, ployés sous le destin, tel demeure le programme, l’amour en partage dérisoire, pour ceux que la perte de leurs pieds contraint d’avancer / Le peuple des mots s’avance en ses loques, porté douloureusement par des quarterons de quasi muets harassés, que le souvenir d’un passé lumineux maintient sur les dents / Car lambeaux et fragments de mots peuvent dérider et déraidir, mon bon monsieur ; c’est comme je vous le dis ! / Il suffit même qu’on y mette un peu d’ordre, et ils vous chaufferont la couenne en vous mettant du coeur au ventre ! / Les mots sont ronds et gras du bonheur d’être prononcés et il y en a chez qui ils profitent à vue d’oeil, pétris d’instinct et d’intuition / Chez d’autres, ils se garderont bien de se faire prendre, tant on voudrait leur faire dire ce qu’ils ne veulent pas / Ou les embrigader dans des prières vaines, des litanies ou des supplications ; les mots résistent et ne seront jamais réduits à ce qu’on en fait / Les mots sont comme beau soleil à nos yeux ébaubis ; l’éblouissement fait fermer les yeux, les mots peuvent contraindre au silence…………………. / Ils s’y installent dans une mutité étranglée, secs comme une lanière de cuir, jusqu’au sanglot qui les expulse pour réinventer du nouveau sur notre propre compte / Nous voyons alors notre petit lot de mots composer un répertoire inépuisable que nous savons porteur de la lumière tant espérée / Elle repose à chaque fois au tréfonds d’une histoire vraie d’aïeux, de terre, de sang et d’Hommes parlant tous une même langue dont les infimes variations sont à peine sues / Le chroniqueur les suspectant, fait volte-face et en oublie de conter tant son cheminement hasardeux s’accroche aux jupes de ces mots généreux et lucides / Nous restituerons ces mots à la vérité lorsque nous serons prêts à en faire l’aveu, dans la langue comprise de tous ; lorsque la vérité se sera enfin révélée et que nous aurons trouvé les mots pour la dire ; lorsque les mots se laisseront solliciter sans résistance aucune et qu’ils nous permettront d’aller au bout de nos phrases / Les mots appellent les mots, mais leur suite n’est productive que si nous la travaillons continûment, avec détermination, tout en évitant les spécimens contondants, contournés, contingents, contraints ou contrefaits / Nous devons nous laisser convoquer par les mots ; ils nous mobilisent, nous apostrophent, nous apprivoisent, nous possèdent, nous bluffent, finalement nous sauvent / Heureux qui en fait joyeuse bombance et moisson en une profonde et sincère dilection, et se préserve ainsi de la bonasserie la plus avilissante, paresse bien courante, qui ne fait que prospérer / Nous restituerons ces mots à la vérité, pas tout de suite, bien après demain : rien ne presse / Car il nous faudrait alors aligner nos actes sur nos paroles. Les mots ne nous engagent aucunement / On peut changer d’idées / Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais / Tu peux toujours causer mon bonhomme / Les mots ne sont que mensonges et duplicité / Ils ne sont jamais pour rire / Et c’est peut-être le plus risible de cette histoire où personne n’aura le mot de la fin / Car les mots ont leur motilité, même les mots-valises les plus lourds, ceux à qui il faut plusieurs porteurs pour qu’ils se répondent, de loin en loin, d’un poème à un autre, médiocre et vain / Les mots des poèmes donnent envie de fuir parfois / Je vous en toucherai un mot, bien placé, un jour ou l’autre, quand j’aurai restitué la vérité à ces mots qui emportent les certitudes et toute perspective de confort / Quand il ne faut pas de plus, les chercher, les débusquer, les déjouer, les désouffler, se les dépayer, les dégrossir, les dépasser, se les dédonner, les définer, les décroiser, les décambronner / Je cherche le motif de mes mots pour les dépeindre / Je cherche une vérité à restituer, comme un mot d’enfant / Tiens, demain c’est la foire des bons mots / Il s’en trouvera bien quelques-uns pour être piétinés par la foule de tous les autres, ceux qui parlent en vérité.


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Peur

La parole délivre une douleur inusitée
de sa souche de marbre aux malices dorées.
Des odeurs d’oiseaux paressent sous les pores,
les vents reviennent chargés
des gris tracas de la mort.


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Pieds d’argile

Nous nous écarterons de la route, gagnés par les chuchotements de l’obscurité.
Nous sourirons de ces menus stratagèmes dont une simple esquisse

suffira aux loisirs que l’on se donne.
Nous irons, tranquilles, au rythme de la fuite du temps.
Nous n’aurons plus, pour nous guider, que l’assurance absolue de méconnaître les fins,

ce qui nous chavirera d’aise en nous gardant de la peur.
Nous dévisagerons la vie avec l’insouciance de l’enfant pour déjouer la parole et le souffle ;

il importera peu que nous y prenions notre part.
Nous n’aurons même pas à renoncer à la lutte :

elle bredouille depuis bien longtemps des sons inaudibles.
Nous prendrons la liberté de ne pas revenir ; d’ailleurs, nous deviendrons autres,

reflet et miroir lassés de leur activité minuscule.
Nous cultiverons le manque de retenue pour retrouver,

au plus ample, la sidération des intuitions brutes.
Nous défalquerons de la nuit les disparitions et les renoncements dont nous sommes coupables.
Le moment venu, nous travaillerons enfin à l’oeuvre, en renonçant à la comprendre

pour la garder belle, parée de ses atours de bout de chemin.
Un cortège de souvenirs aux pieds d’argile portera alors, timidement, notre sursis.


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Querelle d’experts

Je me permets de vous faire remarquer que l’emploi que vous faites de l’expression « sériation perspectiviste », trahit singulièrement ma pensée. Il me faut donc corriger une interprétation manifestement trop hâtive.
Ce que je démontre, dans mon ouvrage Le kakemphaton comme dépassement possible de l’haplologie dans l’approche adventice, peut se résumer comme suit : le sens commun, en ses transports, inscrit la notion de « sériation perspectiviste » dans la continuité d’une aire plus large qui, en effet, retient le traitement de la pratique – et de sa spécificité – aux portes du domaine des standards que définissent implicitement les versatilités transactionnelles.
Ce qui vous échappe, c’est que cette orientation lourde a pour effet de réduire le fondement ontologique des esthétiques à un pluralisme ad libitum d’où surgissent, çà et là, des assemblages originaux n’obéissant qu’à la seule nécessité de leur existence, donc, ne pouvant relever que d’une classification unique, mais réductrice.
J’en veux pour preuve, que les caractéristiques postérieures de cette réalité « délibérée » – pourtant mises en valeur par vos propres recherches sur les sensations cénesthésiques dans l’entéléchie aristotélicienne – renvoient, in petto, en manière d’acceptation du champ syntaxique des contraires, à l’affirmation d’un lisible récurrent.
Ainsi, l’avatar sérialiste que vous contestez, n’intervient plus comme scarificateur du minimalisme ambiant, mais bien comme fusible latent d’une hypothétique mise en échec du pathos.
Perversion onomastique direz-vous ? Oui, si l’évolution à court terme du falloir au niveau du sous-moi s’affirme comme agent inhibiteur (et cela constituerait, vous en conviendrez avec moi, une régression sans précédent). Non, si la transgression perspectiviste remet en cause le falloir, et c’est bien plus que probable, comme chacun sait…
Souvenez-vous d’Horace : Hoc caverat mens provida Reguli !
Bien à vous.

 

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Retour sur soi

J’oublie tous les débuts pour entrer en un travail indécis,
condamné à poursuivre les fins comme elles s’éloignent,
malgré moi, malgré elles, inexorablement.
Des évènements minuscules, en flux désordonnés,
viendront bientôt chercher une appartenance improbable,
et commettre d’authentiques transgressions,
auxquelles on ne se résout que convaincu de largesse.
Mais que survienne la perspective d’une attente,
et l’on fait parade de l’abandon des chemins ouverts par les primes hésitations,
ces jeunes velléités qui allaient du petit déni à l’accablante implication,
de la vibrante plaidoirie à la plus odieuse des accusations.


_____________________

Révolution en marche
Dialogue.

Nos ouvrages ont encore franche grandeur d’âme à souligner de deux traits d’esprit,

forts de leurs privilèges, les prétextes à rire et à espérer.
Et heureusement qu’il nous reste encore ça.
Le premier défend une religieuse rétractation au risque d’obscurcir les philosophies prosélytes

que la vérité nue tient pour unique conquête.
Ses manières gardent le caractère de l’exhortation, son autorité vient de ses confidences pacificatrices.
C’est du moins ce qu’il vous semble.
Le second s’octroie le rituel du façonnage langagier qui génère les différences illusoires susceptibles

de faire oublier le monopole univoque d’une réalité qui toujours échappe à notre vigilance.
Ceci dit, vous pouvez aussi vous tromper.
Tous connaissent la musique, nul ne voit pourtant la partition se dérégler. C’est peut-être le moment.
Détruisons le mythe à notre guise ; l’avenir prendra enfin des formes inattendues propres à étonner,

tellement elles détonneront. N’est-il pas ?
Vous savez, moi, ce que j’en pense…
Tiens, à propos, vous l’avez toujours votre vieux fusil de la Manu ?
Il est toujours en état de marche ?
On n’sait jamais…
Pan, pan ?
Cu-cul !


_____________

Roman Fleuve
Lire, si possible à deux voix.

la fille du passeur vivait de l’exploitation d’un filon _______________________croiseur
pour quoi elle se refit un hymen de papier________________________________Joseph
son père passeur depuis qu’il était tombé de sa filadière ___________________Marie
se consacrait sagement à la cueillette de filipendules______________________Jésus
dont il tirait feuilletons et fifrelins______________________________________Saint-Esprit
en toute sérénité anges du pa__________________________________________radis

 

le compte est bon
sautez votre tour_________________________________________________________/
et rendez-vous à la case prison 
en passant à rebours
par la crèche à cochon


oh ! du bateau ! contenez un peu votre sillage si vous avez du________________coeur
la fille du passeur pourrait bien s’en_____________________________________rhumer


le compte est bon
égrainez le discours
et fendez-vous d’une emphatique déraison_____________________________________/
en moquant pour faire court
le prêche à cochon


oh ! du bateau ! soulagez un peu votre amarre si vous avez du_________________mou
la fille du passeur pourrait bien tré________________________________________passer


le compte est bon
cessez de vous trémousser
poèmez sans relâche_________________________________________________________/
jusqu’à crever à la tâche
dans l’auge à cochon


_______________


Sagesse de l’âne

Les petites filles sautent légèrement de rocher en rocher et se tiennent avec audace

sur les pointes les plus étroites.
De leurs observatoires acérés, elles n’entendent qu’à peine des garçons, qui répondent

sans ménagement à ceux qui les interpellent en prétendant

qu’on paye bien cher le soir les folies du matin.
Un âne qui observe la scène, et qui souffre patiemment les plus mauvais traitements,

se dit à lui-même que celui qui pense et raisonne toujours juste

devrait agir toujours bien gentiment.


__________

Sale temps
Lentement, en imitant André Malraux vieillissant du mieux que vous pourrez.

Parfois, l’énonciation s’efface derrière des envies aux chevilles ailées.
Progression de l’effondrement au gré de circonstances infimes.
Voué à tout ce qui échappe,
accablé de tâches inutiles,
convaincu de solutions illusoires,
le temps ne s’incombe pas.
La peur n’est pas que de feutre : elle naît violemment d’une enclave de paresse.

 

_____________________


Tel est pris qui croyait

Certains n’hésitent pas à affirmer
que la différence entre un oiseau
réside essentiellement dans.
Peu importe, d’ailleurs, qu’il en ait ou pas,
puisque personne ne sait qui a commencé,
de l’oeuf ou de la.
Il en résulte un certain malaise qui,
d’autant que dans ce domaine, on n’est jamais sûr de.
On doit, en effet, rappeler que l’enfer est,
et qu’il est bon d’apprendre tôt à ménager la.
De la même façon, si les voies du,
il ne faut, par contre, jamais hésiter à leur couper l’herbe sous.
On peut cependant avancer, bon an,
qu’à tous coups, on ne fait pas de chiens,
mais qu’on risque fort d’inquiéter le petit personnel.
On aura donc intérêt à mettre de l’eau dans son
et surtout un peu d’ordre,
car un chat n’y retrouverait pas.
Autant chercher un aiguille dans une !
Pour en finir, on se retrouve à choisir
entre la fuite et l’embolie,
ce qui tend à prouver qu’on ne fait pas d’omelette sans.
(applaudissements nourris)


 

 

 

 

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